samedi 23 octobre 2010

Où sont les femmes? Réflexions parallèles sur The Social Network

Il y a quelques temps, au détour d'un blog, j'ai découvert un concept qui malgré ses 25 ans d'âge bénéficiait d'un regain de notoriété. Une de ces petites théories qui derrière une simplicité alarmante s'avère être une petite révolution pour votre vision du monde et de ses avatars.

La « Bechdel Rule » aussi appelé le « Bechdel Test». Cette règle est simple et efficace; elle est aussi dévastatrice. Il s'agit de choisir les films que l'on souhaite voir ou par extension de juger les films que l'on va voir selon trois critères:

1- Qu'il y ait au moins deux personnages féminins

2- Qu'elles aient au moins une conversation dans le film

3- Qu'au cours de la conversation elles parlent d'autre chose que d'un homme.

A la lecture de ces trois petites conditions j'ai vu ma vie cinématographique défiler devant mes yeux. J'ai repensé à tous ces films d'action où je m'obstinais à m'attacher à la pauvre fille qui apparaissait dans deux pauvres scènes, mais à qui j'attribuais une personnalité et une histoire issues de mon imagination sans borne. Et je me suis souvenue de ce vague sentiment de faiblesse mâtiné de honte en réalisant que j'étais toujours plus intéressée par l'amourette de pacotille sur le côté que par la trame fascinante des deux types qui se couraient après. Et bah oui Stupid! L'amourette c'était le seul moment où il y avait une meuf à 12 km à l'horizon. Inutile de vous confirmer que toutes ces filles étaient loin de croiser une autre fille dans une scène où elles auraient pu avoir l'espoir de parler de quoi que ce soit.

Après j'ai pensé à tous les films d'art et d’essais pour me remonter le moral et je me suis rendu compte que si le score était un peu plus élevé il restait désespérément bas.

Bien sur la télévision s'en sort beaucoup mieux que le cinéma (après tout pour remplir les 42 minutes on serait prêt à tout) mais comme le dit très bien www.tvtropes.org, la question n'est pas dans le particulier mais dans le général. C'est le nombre alarmant de fictions qui ne peuvent pas respecter cette règle qui est affolant.

Loin de moi l'intention de limiter à présent ma consommation aux séries, films et autres qui obéissent à cette règle, je suis bien trop curieuse pour ça. Si je ne me contentais que des oeuvres qui reflètent mes convictions, j'aurais bien été incapable de regarder 3 saisons de 24 heures chrono. La fiction est après tout l'ultime armoire magique et nous ouvre les portes de tant de mondes inconnus, qu'il serait dommage de s’arrêter dans les fourrures par sectarisme.

Et surtout pas besoin de l'appliquer cette règle pour en voir les implications.

Tout cela m’amène à The Social Network. Je vous accorde que réduire ce film à son traitement des femmes est largement injuste et réducteur, mais je n'ai pas l'intention de vous parler vraiment de The Social Network. D'autres l'ont très bien fait et en toute honnêteté je suis loin d’être au bout de mes réflexions sur cette oeuvre.

Et puis je ne sais pas vous, mais personnellement la chose que j'ai unanimement entendu sur ce film, à part que c'était un excellent film fantastiquement écrit, c'était à quel point les "personnages" féminins étaient sous- ou mal- traités.

A partir de là, j'étais bien incapable d'y aller sans revêtir mes « Feminist Goggles » (ou en français mes lunettes féministes déformantes... vous comprenez pourquoi j'ai utilisé la VO...).

Je le répète le film est effectivement excellent, et il mérite que l'on parle de beaucoup d'autres choses que de son traitement des femmes... Mais on ne se refait pas et j'ai tout de même eu le besoin irrépressible d'en discuter ; jusqu'à rouvrir ce blog abandonné à la poussière depuis des mois.

The Social Network ne se plie pas à la règle de Bechdel. Pire presque toutes les femmes que nous avons la chance de croiser sont réduites à des stéréotypes terrifiants de Party Girls. Et pourtant...

Ce film n'est pas misogyne, le milieu qu'il décrit l'est et Sorkin (le scénariste qui est aussi le merveilleux auteur des 4 premières saisons de The West Wing) le dépeint tel quel. Je préfèrerais d'ailleurs que les gens soient choqués de la réalité de ce qu'il décrit et pas de sa description.

Sorkin, lui, n'oublie pas les femmes. Elles sont là, elles sont même indispensables à sa narration. Ce sont elles qui ouvrent et ferment le film, elles sont présentes ou responsables de tous les moments charnières, il s'accroche à elles pour humaniser son histoire et son personnage principal.

Et c'est là que la Bechdel Rule nous donne un outil d'analyse qui fait toute la différence entre la présence de femmes et la caractérisation de femmes.

Aucunes de ces femmes ne parlent entre elles!

La misogynie du monde que décrit Sorkin se révèle dans ce simple état de fait. Car dans ce monde les femmes n'existent qu'à travers leur « image ». C'est l'idée de la femme qui pousse les nerds à vouloir devenir milliardaires, car clairement ils n'ont pas beaucoup d’intérêt pour les femmes dans leur particularité et dans leur réalité. (Et je passe sur le fait que quand on parle des « femmes » dans notre monde ou celui d'Hollywood on pense généralement aux quelques spécimens qui ont entre 16 et 35 ans et ne dépassent pas la taille 40, les autres ayant mystérieusement perdu leur « féminité » en cours de route.)

My point is: il n'est pas nécessaire de se plier à la règle de Bechdel pour dire quelque chose d'important sur la condition des femmes, même si c'est en creux comme ici.

Mais cette règle, tel un révélateur chimique, nous permet de nous rappeler où nous sommes.

J'irais même plus loin, contrairement à ce que l'on pourrait penser, la règle de Bechdel n'est pas une question de féminisme protestataire. Il s'agit de l'autre côté de l'engagement, celui de la création de nouveaux référents. Bechdel s'en fout que l'on montre des femmes sous leurs meilleurs jours, elle veut qu'on montre des femmes qui existent en dehors de l'homme dont elles sont souvent le satellite. Qu'elles soient des sorcières, des putes ou des saintes est un autre problème.

Sorkin pourtant n'est pas n'importe qui et ce n'est pas aveuglément qu'il a choisi d'écrire ces femmes ainsi.

Malheureusement je soupçonne bien des scénaristes (à Hollywood et ailleurs, hommes et femmes) d'être absolument inconscients de leur insuffisance... En attendant le film le plus vide de personnages féminins de l'année vient peut-être de nous démontrer quelque chose qui cloche sacrément dans notre monde soit-disant post-féministe.