jeudi 31 décembre 2009

Le 21ème siècle sera post-narratif

Alors que je m'apprêtais à faire le décompte de mes films préférés de l'année je fus assaillie par deux pensées déprimantes: 1. Je ne suis pas vraiment allée au ciné cette année et mon top 5 va être des plus convenu. 2. Ma dernière théorie fumeuse sur l'évolution de la fiction, que je mijote depuis quelques mois, va finir par ne plus être d'actualité. En quête désespérée d'originalité j'ai donc décidé de combiner les deux et de vous offrir le Top 5 des films de 2009 qui ont inspirés ma théorie fumeuse! Tada!!!!!!

Quelle théorie fumeuse, me demandez-vous? Et bien je suis heureuse que cela vous intéresse, comme pour la plupart des concepts révolutionnaires tout est dans le titre: Le 21ème siècle sera post-narratif! Alors je suis sûre que nombre sont les pseudos-intellectuels qui ont utilisés ce terme avant moi (enfin j'imagine, dites moi si je me trompe, que je le dépose), mais comme je ne suis pas certaine qu'ils y entendaient la même chose, laissez moi vous définir le concept du post-narratif selon MOI.

Le post-narratif, c'est d'abord, cette tendance à ne plus traiter des topoi mille fois développés dans la fiction du 20ème siècle mais de ce qu'il se passe après, ou " post ". On ne raconte plus l'histoire d'un jeune homme au prise avec la découverte de son homosexualité, mais de sa vie après son coming-out (ex: le fils de Toni Colette dans The United States of Tara série de Showtime). On ne s'intéresse plus à comment un couple est tombé amoureux ou a décidé d'être ensemble mais comment ils essaient de " vivre heureux et d'avoir beaucoup d'enfants " (Away We Go qui a raté de peu mon top 5). Par extension le post-narratif devient parfois para-narratif, on s'attache à ce qui est parallèle à l'histoire, le contexte devient sujet, le récit devient plus subjectif et une histoire banale re-devient intéressante. Dans ce cas on parle aussi de post-narratif non pas parce que l'histoire se passe après " l'histoire ", mais parce que ce type de narration est la progéniture de la narration classique. La dernière typologie post-narrative est la narration d'un événement du passé à travers le filtre du présent. Non seulement le point de départ se situe à la fin du récit, mais cette fin conditionne le récit. En gros le post-narratif serait la tentative désespérée des scénaristes d'Hollywood d'écrire pour un public de ciné- et télé-phages qui connaissent par coeur les mécanismes narratifs classiques.

Mais assez de théorie! Voilà mes 5 films mémorables de 2009 qui ont (en partie) inspirés mes grandes réflexions, et c'est peut-être justement leur post-narrativité qui leur donne pour moi tant de résonance.

1- (500) Days of Summer de Marc Webb

Numéro 1 de tous mes tops de l'année, ce petit bijou du cinéma indépendant américain, répond à tous les impératifs du genre: une histoire sentimentale qui n'en est pas une, une bande son pointue et mélancolique et deux acteurs adorés de " l'alternative America ". En plus c'est du triple post-narratif. D'abord, avec à une structure qui défie la chronologie (les 500 jours en question sont racontés dans le désordre), on a l'ambition de raconter différemment une histoire qui n'aurait sinon pas grand chose à offrir. Ensuite, le postulat ici n'est pas de raconter l'histoire de deux êtres, mais celle d'un être et son rapport amoureux à l'autre. Bien entendu, beaucoup de comédies romantiques sont centrées autour d'un seul personnage, mais on nous donne généralement l'illusion de la communion de ces deux êtres, quand (500) days of Summer insiste sur la disparité de leurs vécus. Summer nous reste, comme à Tom, étrangère. On est dans le para-narratif sus-nommé. Finalement, la voix-off nous annonce dés le départ que cette histoire est déjà finie, il s'agit du passé, c'est pourquoi nous n'en aurons qu'un aperçu chaotique et subjectif, nous ne participons pas à l'aventure mais à sa digestion. Digestion en abîme puisque le co-auteur Scott Neustadter s'est inspiré de sa propre histoire comme en témoigne la douce " dédicace ": « Ceci est une œuvre de fiction. Toute ressemblance avec des personnes existant ou ayant existé serait totalement fortuite. Surtout avec toi, Jenny Beckman. Connasse. » Ci-dessous la bande annonce, qui serait parfaite si elle ne racontait pas un peu toute l'histoire: vous voilà prévenus!



2- WATCHMEN de Zack Snyder

WATCHMEN ou LE film jubilatoire 2009! Le pari réussi de transposer le Comic légendaire d'Alan Moore sur grand écran (en décidant tout simplement d'être le plus fidèle possible à l'original). Et en plus ça transpire le post-narratif! A la sortie de la BD en 87 cette histoire de super-héros psychotiques était la réinvention du genre. Au coeur de l'histoire n'était plus leurs héroïsmes, mais les déséquilibres qui les poussaient à porter un masque et une cape et à jouer aux Supermans. De la même façon cette adaptation, en projet depuis vingt ans, a enfin vu le jour suite aux réinventions cinématographiques de Spiderman, Iron Man et surtout de Batman. Au-delà du sujet le scénario est post-narratif dans sa structure même. Respecter le " scénario " de 12 comics (6 tomes en France) en un seul film, impliquait de devoir violer plus d'une règle scénaristique Hollywoodienne. Le spectateur averti ressent effectivement l'influence de la dramaturgie " comics " mais les scénaristes ont su la rendre pertinente pour l'écran. Créant ainsi un nouveau genre d'adaptation, qui tente de transporter dans le nouveau média plus qu'un concept ou une trame, mais une tradition narrative. Enfin WATCHMEN est comme (500) Days of Summer une tentative de digestion du passé. Le récit au présent se mélange aux souvenirs divers de personnages qui n'ont pas tous la même version de leur histoire et de l'Histoire. D'autant plus que l'Histoire dans WATCHMEN n'est pas la notre, les Watchmen, ayant par leur existence même, changés le cour de l'histoire. L'artifice de l'uchronie (version alternative de l'histoire) est un autre moyen d'entrer dans la para-narration. Vous êtes paumés? Je vous comprend, ce film est assez riche pour nourrir une année de réflexion. Mais je pense que vous avez saisi l'idée générale, alors je vous laisse avec la meilleur bande annonce de l'année et la promesse que si papa noël en retard m'offre le DVD je vous y consacre un blogpost.



3- Very Bad Trip (The Hangover) de Todd Phillips

Je sais, une comédie à succès ça fait toujours un peu tâche dans un top 5. Mais au cas où vous ne l'auriez pas compris, je n'aime pas bouder mon plaisir. Ce n'est pas pour rien que j'ai appeler ce blog culture pop. Alors avant de rentrer dans toute la post-narrativitude de The Hangover laissez moi vous dire que je revendique pleinement ce film comme un de mes coup de coeurs 2009. Une comédie qui arrive à jouer sur tellement de tableaux qu'elle fait rire tout le monde, même si pas au même moment, c'est un tour de force. Et puis il y a l'impeccable réalisation qui dès le générique nous confirme qu'il s'agit d'un vrai film malgré le sujet burlesque, et puis il y a Bradley Cooper en costard, et puis il y a Ed Helms qu'on aime pour d'autres raisons... Et puis il y a tout le post-narratif! Si, si je vous jure. Regardez plutôt: une histoire sur la (non-)digestion du passé, où les souvenirs subjectifs donnent un autre sens à l'histoire, Check! Un film qui rend hommage à sa tradition narrative, en réinventant ses propres codes, encore Check! (Pour les sceptiques je rappellerais les nombreux clins d'oeil aux films sur Vegas, en particulier à Rain Man. Sans oublier les personnages qui s'avèrent tous être le contraire du cliché qu'ils représentent. Le beau gosse fêtard est le plus responsable. Le gentil dentiste est le plus volatile. Le gros lourd sauve tout le monde.) Vous voyez que le post-narratif est partout, même dans les blockbusters! Bon par contre la bande-annonce est pas terrible et si vous l'avez pas vu, louez plutôt le DVD les yeux fermés.


4- Jennifer's Body de Karyn Kusama

Seul cas un petit peu à part, parce que sans digestion de passé (quoi que le début c'est la fin, mais ça c'est pas super original) Jennifer's Body se devait d'être sur cette liste surtout à cause de son auteur. Diablo Cody, scénariste Oscarisée de Juno et créatrice de The United States of Tara est ma grande inspiratrice en terme de post-narration. Nourrie elle-même par des quantités industrielles de fiction pop elle a inscrit toute son oeuvre dans la continuité logique de cette tradition: le post-narratif! Ses personnages ont, comme elle, grandit avec la télé, les films des années 80 et l'émergence de la musique indé, et seraient mortifiés à l'idée de ressembler à des clichés Hollywoodien. Tous les codes sont ainsi réinventés, et Diablo connaissant nos attentes s'amuse à nous surprendre. Elle décide aussi de bousculer un genre généralement masculin en centrant son histoire sur le rapport intense entre deux adolescentes " frienemies ", tout en rendant hommage à la tradition du film d'horreur (la gentille fille est la seule survivante). A ce stade je n'ai plus besoin de hurler ALERTE POST-NARRATIVE!!!! toutes les cinq secondes pour que vous voyez où je veux en venir. Et pour une obsédée de musique indé je me dois de faire référence à Low Shoulder, le groupe de rock Emo, et leur insupportable tube " Through The Trees ". Encore une fois entre l'hommage et la dérision il faut avoir collectionné les BO de tous les Screams pour comprendre la blague. Et puis quand on sait que le chanteur n'est autre qu'Adam Brody celui qui a donné corps au Seth Cohen de Newport Beach (le premier Geek-fan-de-musique-indé cool de la terre) on ne peut que sourire. Donc ne croyez pas les critiques tiédasses de ce film peut-être un peu trop original pour son bien, et ne croyez pas la bande annonce non plus parce qu'elle est peut-être jolie, elle est surtout trompeuse (ça aussi c'est une jolie métaphore).



5- Inglourious Basterds de Quentin Tarantino

Il n'est pas étonnant que Tarantino le précurseur du film fun post-narratif trouve sa place dans ce top. Bien entendu son film à lui va encore un peu plus loin dans le délire, mais c'est le rôle d'un précurseur. Pourtant j'ai du mal à dire que j'aime ce film. Peut-être souffre-je du syndrome français qui ne peux pas ignorer la faiblesse du casting francophone, ou alors comme une bonne européenne la réécriture de la seconde guerre mondiale me dérange malgré moi... Ou alors il faudrait que je le revois pour le comprendre! Mais il est indéniable que nous avons devant nous un joli cas de post-narrativisme aigu. La désorganisation ou réorganisation du récit (qui n'est bien entendu pas nouvelle chez Tarantino), le contexte comme sujet, le détournement des codes (filmiques et historiques), l'inversion presque systématique entre valeur morale et quotient sympathie, etc... Et finalement une uchronie de dernière minute à la fois jouissive et choquante. Et puis dans le genre digestion du passé, ça se pose là. Mais l'acte post-narratif ultime est aussi le plus Tarantinesque. il a emprunté son titre à un film italien de 1967 sorti aux Etats-Unis sous le nom de The Inglorious Bastards (vous avez remarqué l'altération orthographique? APN!!!!!!!)



Alors maintenant vous me direz peut-être que le post-narratif n'est pas une invention de 2009 et que comme je l'ai pressenti j'arrive bien tard avec ma théorisation. Je répondrais que c'est moins l'existence de la tendance que sa propagation dans le cinéma populaire que je relève ici. Vous me direz aussi peut-être que mon post-narratif qui tombe parfois dans le para-narratif est un peu fourre-tout et que tout ça manque cruellement d'une typologie systématique. Je vous répondrais que beaucoup de théories esthétiques sont fourre-tout, que je vais me faire un plaisir de continuer à réfléchir à une possible typologie et que je vous avais prévenu que c'était un peu fumeux tout ça. Et si vous me faites remarquez que vous ne m'avez rien dit et que je parle toute seule je vous dirais « soyez charitable, c'est le nouvel an et j'ai passé ma journée à théoriser... ».

lundi 28 décembre 2009

2009 en chansons

En cette période un peu bâtarde qui sépare noël et le jour de l'an, on a tous un peu tendance à vouloir tenter d'étiquetter l'année écoulée. La presse et le web nous offrent, chacun dans leur domaine, une digestion de ces douze mois avec leur top des évènements les plus marquants, des meilleurs films, des plus jolies robes, de la pire voiture, etc... En somme, une façon de cataloguer 2009, pour pouvoir la ranger sur une étagère le plus vite possible et passer à autre chose. C'est vrai que 2009, je sais pas vous, mais pour la plupart des gens c'était un peu une année de merde. Mais, comme tous les moments difficiles à passer, c'était aussi une année pleine de révélations, de catharsis, de changement (enfin en tout cas pour moi et après tout on est sur mon blog donc je ne vais pas m'excuser de faire preuve d'égocentrisme) et la culture pop tel un ami fidèle ne m'a jamais abandonné. En cet honneur, je vous propose donc ma propre batterie de top 5, en commençant par le plus subjectif, le top musical. Loin de moi la prétention de vouloir détailler ici les dernières révélations pop/rock. Non les cinq chansons que je vous offre ci-dessous ne sont même pas sorties en 2009, mais c'est cette année qu'elle sont entrées dans ma vie et elles continueront longtemps à la rappeler à ma mémoire.

5 – 3 Rounds and a Sound – Blind Pilot (2008)

Merci Alex Patsavas (vous savez pas qui c'est? Google her!) la bande originale de Chuck, pleine de plaisirs divers et variés, m'a accompagné tout au long de l'année mais c'est cette chanson simple et discrète qui m'a le plus affectée. Utilisée dans le superbement jubilatoire dernier épisode de la saison 2, la chanson n'y était pas particulièrement remarquable et je ne me l'était procurée que par habitude. Il y a bien longtemps que je suis aveuglément les sélections de Ms. Patsavas. Je me souviens pourtant du moment exact ou j'ai “écouté” cette chanson pour la première fois, quelque part entre Orly et Châtelet sur la ligne du RER B un soir de retour de Berlin en mai. Tout d'abord la douceur de la guitare et de la voix comme une caresse vaguement réconfortante sans être naïve et puis tout à coup cet abîme d'émotions qui dévoile toute la profondeur de cette histoire d'amour un peu trop compliquée... And just like that I was in love...


4 – Single Ladies (Put a Ring on It) – Beyonce (2008)

Kanye, Glee et tous les américains que je connais avaient fait leur possible pour me faire comprendre qu'il s'agissait de la chanson de l'année, un véritable phénomène de société auquel il était impossible de résister. Pourtant c'est seulement en visionnant (avec quelques semaines de retard) la performance de Ms. Knowles au MTV VMA que j'ai commencé à entre-apercevoir le potentiel explosif de ce tube. Du jour au lendemain j'étais moi aussi saisie de secousses frénétiques à la moindre mention de “All the single Ladies, All the single ladies” et je n'ai toujours pas renoncé à un jour réussir à imiter ce balancement de tête incroyable qui semble résumer le mythe féminin absolu et toute la force de la libération spirituelle et sexuelle des femmes. Et pour répondre à votre question, non ça ne me dérange pas de souscrire à la tendance avec le reste de la masse. Il est de ces choses qui savent pour un instant avoir du sens pour tout le monde. Que ce sens soit l'expression du malaise économique actuel ou du désir de danser sur un hymne moderne de l'empowerment. Et oui, cette chanson ne parle pas de la recherche désespérée d'un mari, c'est un avertissement à tous les hommes qui ne seraient pas capable de traiter leurs ladies comme elles le méritent.

3 – Papillon – Rilo Kiley (1999)

Vous connaissez ce sentiment de plaisir mêlé d'appréhension quand vous découvrez l'oeuvre de jeunesse d'un de vos artistes préférés? Généralement pour moi l'appréhension gagne sur le reste et plus je vénère l'artiste en question plus je repousse le moment de vérité fatidique: et si avant ils faisaient de la merde?Heureusement pour nous c'est pour ça qu'ITunes à une fonction “lecture aléatoire”. C'est ainsi que j'ai découvert à mon corps défendant cette petite merveille ci-dessous issu du premier EP de mon groupe PRÉFÉRÉ (!) que j'ai juste depuis 2 ans sur mon ordinateur. Je vous la livre sans analyse, sans vidéo d'abord parce qu'il me faudrait plusieurs heures pour vous dire tout ce qu'elle m'inspire et puis parce que je considère que son charme parle de lui-même...

2 – Marble House – The Knife feat. Jay-Jay Johanson (2006)

The Knife est probablement MA révélation de l'année, ce groupe suédois (mes amours 2009 sont majoritairement suédois...*soupir* Alexander.... euh je m'égare) composé de Karin et Olof Dreijer, frère et soeur à la ville, duo expexpérimental pop pour le reste du monde, m'a littéralement tourné la tête. Ma passion m'a même emmenée jusqu'à Genève pour une nuit pour voir leur opéra “Tomorrow in a year”. Ce fut donc avec la plus grande surprise que j'ai découvert que la musique de The Knife ne faisait pas l'unanimité. Il y a dans mon entourage nombre de personnes qui on du mal à voir toute la beauté que j'y vois. Cette incompréhension est particulièrement exacerbée pour cette chanson: Marble House issue de leur dernier album, où l'étrangeté générale de leur pop planante est un peu plus dark, un peu plus moody, et un peu plus strange grâce à la voix inimitablee de Jay Jay Johanson. Bon d'accord je comprends qu'il y ait des gens qui la trouve bizarre cette chanson, mais moi je trouve que sa mélodie d'une beauté simple et universelle nous enivre assez pour que l'étrangeté ne soit plus une barrière, mais une forme de communion. Don't you agree?

1- Billie Jean – Michael Jackson (1983)

De toutes les chansons immortelles de Michael Jackson que nous avons redécouvertes depuis le 25 juin, Billie Jean est, là encore, la plus universelle. Que ce soit dans un bar enfumé de Berlin, autour d'une Flashmob à New York ou au Mexique, ou dans une soirée d'intellos vaguement chiante au bord du canal St Martin cette intro inimitable provoque le même désir irrépressible d'entrer dans la danse. Et nous avons dansé, tout l'été et jusque dans l'hiver sur ce chef d'oeuvre absolu de pop qui n'a pas pris une ride. Et nous qui ne connaissions plus que le Michael risible ou flippant, nous nous sommes rappelés pourquoi on l'avait couronné King. Et ainsi, 26 ans après sa sortie, Billie Jean est à nouveau LA chanson de l'année.

samedi 26 décembre 2009

Glee ou Le paradoxe amoureux du sériphile

L'amour est aveugle, ce n'est pas un adage mais une certitude. Et malgré toute l'objectivité du monde, le rapport que l'on cultive avec une oeuvre, soit-elle triviale ou révolutionnaire, est conditionné par cet état de fait. Nous détestons tous des chefs d'oeuvre et adorons des échecs artistiques flagrants. Chacun sa croix, ou plutôt sa sensibilité, son histoire et son processus d'identification.

Il serait d'ailleurs bien malheureux de juger l'art de façon purement rationnelle, ce serait le réduire à sa matérialité et le dérober de sa vocation spirituelle. Pourtant cette dimension émotionnelle est parfois bien difficile à définir. Peut être n'est-il pas nécessaire d'élucider cette énigme, après tout pourquoi vouloir donner des raisons à l'amour. Mais de temps en temps un cas particulier nous plonge dans la confusion critique et la question se pose: est-ce que mon amour pour cette oeuvre me rend si aveugle que je refuse de tirer les conséquences de ses nombreux défauts? Ou pire, est-ce que l'objet de mon affection n'a jamais ressemblé à ce que je désirais et je suis simplement rattrapée par la dure réalité?

En d'autres termes que penser de mon obsession préférée de ces derniers mois: Glee! Alors oui, cette série n'est pas spécialement polémique, sans être un sucés commercial absolu, Glee est la nouvelle série américaine qui buzz. Regardé par les Tv-phages du monde entier, le nouveau bébé de Ryan Murphy a, depuis la diffusion de son pilote en mai sur la FOX, généré un engouement passionné chez plus d'un critique et autre blogueur. Joss Whedon lui même (mon gourou absolu) est tombé en pâmoison devant cette étrange fiction au point d'en réaliser un épisode en février prochain. Pourtant j'attends toujours de voir un épisode dont je ne sors pas cruellement frustrée ou même carrément déçue. Et je soupçonne beaucoup d'autres d'être plus ou moins dans mon cas. Donc... Glee: chef d'oeuvre ou échec en devenir?

Pour ceux qui débarquent laissez moi d'abord vous résumer (tenter en tout cas) Glee. Alors, Glee c'est l'histoire du Glee club (chorale) du lycée le moins cool de l'Ohio. Glee c'est une comédie musicale avec des chansons empruntées à tous les répertoires, de Cabaret à Kanye West en passant par Journey. Glee c'est une histoire grinçante pleine de bons sentiments avec des personnages qui ont raté leur vocation de Darth Sith et d'autres d'une naïveté approchant la connerie. Glee ce sont des histoires qui n'ont pas toujours de sens, qui tournent parfois en rond et qui sont tour à tour rageantes et inexplicablement jouissives. En gros c'est un foutoir narratif où ça chante et ça danse et où on patauge dans la guimauve avant d'être arrosé d'acide. Difficile à imaginer ? C'est le but! Je me demande aussi jusqu'à quel point ce n'est pas le problème. C'est bien joli de vouloir renouveler la fiction ado mais il faut savoir où on met les pieds et surtout où on veut en venir. Et c'est bien ça qui m'inquiète. Ou veulent-ils donc en venir?

En toute honnêteté ce que je crains c'est de m'être fourvoyée sur l'intention de l'auteur. Et si, tous ces " défauts " évidents n'étaient pas un hasard? Et si c'était par cynisme, que " No Air " et " Keep Me Hanging On " et tant d'autres chansons avaient été utilisées n'importe comment? Et si, le yo-yo constant dans le développement des personnages était une tentative volontaire de les rendre peu attachants? Et si, les bons sentiments de la série n'étaient là que pour être ridicules et ridiculisés? Et si, la meilleure chose à espérer pour Glee c'était que toutes ses suppositions s'avèrent vraies? Et si c'était justement grâce à ça, que Glee pourrait devenir une oeuvre d'importance?

On en arrive ainsi à la véritable problématique de mon paradoxe amoureux: Mes sentiments pour Glee m'auraient-ils empêché de la voir pour ce qu'elle est? Aurais-je voulu ignorer son potentiel pour la faire rentrer de force dans la catégorie des séries ados qui se prennent au sérieux, juste parce que je n'ai plus de Veronica Mars ou d'Everwood à me mettre sous la dent?

Mais assez d'affabulations, de trois choses l'une:

Hypothèse 1: les nombreux défauts des 13 premiers épisodes ne sont que le fruit d'une oeuvre encore verte, qui cherche encore sa voie et qui, avec la maturité, trouvera la cohésion qui lui manque cruellement.

Hypothèse 2: la série a un défaut de fabrication dont elle ne se remettra jamais et retombera comme une mayonnaise ratée tel un Heroes en chanson.

Hypothèse 3: cet espèce de déséquilibre étrange dans la forme et dans le fond est à la base même de l'oeuvre. C'est la volonté de l'auteur et Glee n'aura jamais que l'ambition de le perpétuer.

Dans ce dernier cas je reléguerai Glee au rang de Crush déçus. Et je devrais me résigner à l'aimer avec la froideur intellectuelle que je réserve aux chefs d'oeuvres qui n'ont pas su changer ma vie.